Abîme des oiseaux
(Olivier Messiaen)
depuis la prison
on regarde voler les oiseaux –
la pièce
scellée
ne s’ouvre pas
dans une partie de l’esprit
d’autres lois ou aucune
d’autres terres sans eau ni oxygène
parmi les nébuleuses –
est-ce là l’abîme des oiseaux ?
cette nuit
dans le ciel tiède
les étoiles
ressemblent à des mouches engourdies
ou à des oiseaux prêts à chanter
dans une autre cage
On chante dans le lager mais personne ne vole
et ici un voile de notes
nous éloigne de l’horreur et nous
nos doigts s’ouvriront
pour dessiner l’ombre des ailes
sur les tombes
parce que les oiseaux seuls
la voient
For children
(Bela Bartok)
Mon idéal serait de mûrir en allant vers l’enfance.
Bruno
Schulz
la chambre dans le noir se colore.
les notes ce sont des ballons ?
chuchotant entre lustre et plafond
ils s’arrêtent au seuil de la maison
la mer recouvre le carrelage
et monte nous caresser le cou
donne-moi la main et entrons
dans l’eau
sans souliers
comme dans un temple
un matin au marché on avait
attaché des ballons à un arbre
prêts à s’envoler au plus haut
il en demanda un mais impossible de le détacher
enfin en voilà un entre ses
mains, rouge :
il se dégonfla tout de suite.
donne-moi le couteau
tout va à blessure et morsure
c’est comme ça qu’on
grandit
il pose doucement le doigt sur une
touche du pianoforte et l’univers explose
- il
était bouffi et invisible ? Abracadabra abracadabra
gorge oreilles yeux touchés s’ouvrent
tout grands
abracadabra
si tu pouvais
répéter ce son
et la stupeur
mais ce soir
jouons à la balle sur les vagues
dans cette chambre sur la mer
volons au plus haut
si tu pouvais
poser encore ton doigt sur le clavier
répéter ce son et la stupeur
abracadabra
abracadabra
donne-moi l’aiguille
donne-moi le fil et les ciseaux
je veux coudre
recoudre
découdre le monde
La mer
(Claude Debussy)
Les rencontres humaines se font au plus haut a dit
Lucrèce
tout s’engendre entre les masses puissantes des
nuages
faim et désir origine et fin des histoires et des
étoiles.
La tramontane sur l’eau est frémissement mais sur
la peau
c’est une ride, je le dis, et toi sur ton miniclavier
tu simules
la colère marine en cette nuit encore estivale
mais pardon
si moi je pense seulement à la noire
tramontane :
jamais mettre à la mer disent les pêcheurs les
barques
chavirent les poissons vont au fond le brouillard
s’épaissit
les pieds perdent leur chemin aucun vieux marin ne
revient
pour raconter on ne réussit plus à s’endormir
entre
les couvertures même les rêves s’enfuient et le chien
vieillit d’un coup.
Est-ce bien la tramontane noire, ce vent enfermé
chez nous ?
Comme tu es fort – dis-je - et je t’applaudis bravo
bravo
Traduction Sylvie Durbec, L'emozione dell'aria, CFR edizioni, 2012
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