Faire le théâtre tous les
jours à Avignon
Ce
qui fait le théâtre.
Est-ce
qu’on sait justement ce qui fait le théâtre, qui n’est ni le lieu, ni seulement
un texte, ni une mise en scène, mais peut-être un comédien qui tout à coup
emporte loin ceux qui l’écoutent et le regardent ?
Il
ne s’agit pas de faire théâtre, comme on ferait risette ou dînette, tel qu'on
l’entend dans la langue de maintenant qui dit faire société, sorte de tic de
langage cachant mal le peu de
pensée sous la formulation renvoyant à un conformisme idéologique consternant.
Navrante
utilisation que l’on peut lire au mur, sur la place du Palais des Papes.
Hier
j’ai vu deux pièces où le théâtre se faisait.
J’en
avais vu d’autres où rien n’arrivait de ce qui fait le théâtre.
Mais
là, j’ai un peu mieux compris ce qui pour moi fait le théâtre.
Dans
l’une, à aucun moment le texte n’habitait le lieu, mais la comédienne[1],
magnifique, donnait à voir cet exercice singulier que représente le théâtre
quand il est là, sous nos yeux, exercice sacré qui libère du temps et de
l’espace et nous accorde le temps d’une représentation une liberté vivante.
Dans
l’autre, la beauté du texte enchantait le lieu, mais c’était encore une fois
les comédiens[2] qui
faisaient le théâtre et si je lis le texte seul, je retrouve sa beauté, mais
pas ce qui a fait hier soir pour moi le théâtre.
Ces
étranges communautés éphémères que sont les publics d’Avignon pendant le
festival se rejoignent le temps d’applaudissements et d’émotions partagés. Le
théâtre reste étrange et mystérieux, même (et peut-être encore davantage)
aujourd’hui. Sa nécessité éclate en plein milieu de la ville.
Certes
peu de spectacles font le théâtre à Avignon, pendant le Festival. Ici on croise
des publics variés et parfois quelque chose se produit qui rompt avec les
convenances et les rituels bien rôdés.
Alors
s’éloigne l’ennui.
On
revoit avec plaisir le musicien chanteur (japonais, népalais ?) pour la
même raison car lui aussi fait vivre quelque chose de vivant et d’unique au
milieu des gens venus le samedi soir en ville.
Lui
aussi donne par sa singularité vie au théâtre qui passe par la voix et le
corps, et par sa fragilité même, il nous donne la force de continuer à braver
tous les jours le réel. Il a beau être frêle et isolé face aux gens qui
déambulent devant lui, il poursuit avec obstination son chant contre la mort et
l’ennui.
On
reconnaît chez certains qui le regardent de la reconnaissance, comme dans le
public de la Cour certains soirs ou dans les petits théâtres de la ville.
A
côté, un peu partout, fourmillent banalités et mauvais théâtre, mais peu
importe si nous apercevons un peu de ces comédiens qui, avec constance, font
exister le théâtre.
Alors
nous pouvons nous remettre en chemin.
SD
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