mardi 19 juin 2012

La musique dans un tramway aveugle, Karla Olvera


LA MUSIQUE DANS UN TRAMWAY TCHEQUE
Karla Olvera



La vitesse matriochka, 1, 2, 3, 4


Il m’est arrivé si souvent de confondre le tramway de Prague avec celui de Lisbonne que j’en suis venue à penser qu’il s’agit du même. Pourtant quelques différences entre eux comme la couleur, le tchèque est rouge et le lisboète jaune, la langue dans laquelle sont imprimés les tickets, les noms des destinations, tout cela suffit pour les distinguer. L’origine de ma confusion ne tient pas compte de ces détails parce qu’elle provient d’une cause invisible et complexe : il s’agit de l’harmonie entre la vitesse à laquelle avance le tramway et de celle de la ville dans laquelle il évolue.

Prague paraît aller d’un pas plus rapide que Lisbonne, avec, toutefois, un effet de lenteur.
Quand je voyage en tramway à Prague, j’évalue sa vitesse comme une vitesse matriochka, (…) La vitesse du tram ralentit la pulsation de la ville et même les intercepte à l’intérieur du wagon, là où les choses arrivent en vérité.

La ville et le tramway  portent seuls les traces de ce qui est arrivé. Il y a exactement cent un an, en 1910, Kafka voyageait dans ce tramway et notait dans son journal intime le tempo de la vitesse matriochka, très petite vitesse ou ultime, celle de ce qui se passe à l’intérieur du tramway :

La danseuse Eduardowa, fervente de musique, circule, en tramway comme partout, accompagnée de deux violonistes qu’elle fait jouer souvent. Car on ne  voit pas pour quelle raison il serait interdit de jouer dans un tramway, si toutefois la musique est bonne, agréable aux voyageurs, et gratuite, c’est-à-dire si elle n’est pas suivie de quête. Il faut avouer qu’au début, cela ne laisse pas de surprendre un peu et, pendant un petit moment, tout le monde juge cela déplacé. Mais en pleine marche, quand il y a un fort courant d’air et que la rue est silencieuse, l’effet est charmant.[1]

1,

La première Matriochka, c’est Prague. Rilke disait d’elle qu’elle est  l’espace intérieur du monde.
(…)

2,

La seconde Matriochka, c’est le tramway rouge et blanc qui déambule dans la ville (…)
Un tramway électrique de la prestigieuse marque tchèque Skoda. (…)


3,

La troisième Matriochka est le wagon dans lequel circule la danseuse Eduardowa, ses amis violonistes, Franz Kafka  les autres voyageurs.
(…)

4,

La quatrième Matriochka est la musique capable de s’accorder aux conditions décrites par Kafka : le tramway en marche, dans un fort courant d’air, avançant dans une rue tranquille.
(…)

(tentative de traduction SD)

[1] F.Kafka, Journal, traduction Marthe Robert, Grasset

2 commentaires:

  1. Le tramway aussi, dans cet extrait de Robert Walser, Retour dans la neige, trouvé dans une brocante populaire au Poinçonnet, dimanche après-midi :
    "L'écolier, innocent bout-en-train, ramène son certificat à la maison dans le même tramway où se trouve la fille de joie ou l'homme qui prend ici le temps d'échafauder ses prochains coups, et les uns n'importunent pas les autres. Bien des yeux brillent d'une nostalgie secrète, bien des lèvres se serrent, bien des âmes tremblent , mais tous veulent être convenables, tous veulent aller le chemin de la raison, tous peuvent et veulent se préserver. Les rues se ressemblent comme le destin des hommes, mais chacune a pourtant son propre caractère et un destin n'est jamais comparable à un autre. (...)

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    1. Il y a aussi chez Gustave Roud, comme chez Robert Walser des tramways suisses, rouge et blanc, que les poètes empruntent comme les autres gens et ils s'en vont, marchant en rêve, comme d'autres en vrai.

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