LA MUSIQUE DANS UN TRAMWAY
TCHEQUE
Karla
Olvera
La vitesse matriochka, 1, 2, 3, 4
Il m’est arrivé si
souvent de confondre le tramway de Prague avec celui de Lisbonne que j’en suis
venue à penser qu’il s’agit du même. Pourtant quelques différences entre eux
comme la couleur, le tchèque est rouge et le lisboète jaune, la langue dans
laquelle sont imprimés les tickets, les noms des destinations, tout cela suffit
pour les distinguer. L’origine de ma confusion ne tient pas compte de ces
détails parce qu’elle provient d’une cause invisible et complexe : il
s’agit de l’harmonie entre la vitesse à laquelle avance le tramway et de celle
de la ville dans laquelle il évolue.
Prague paraît aller
d’un pas plus rapide que Lisbonne, avec, toutefois, un effet de lenteur.
Quand je voyage en
tramway à Prague, j’évalue sa vitesse comme une vitesse matriochka, (…) La vitesse du tram ralentit la pulsation de la
ville et même les intercepte à l’intérieur du wagon, là où les choses arrivent
en vérité.
La ville et le
tramway portent seuls les traces
de ce qui est arrivé. Il y a exactement cent un an, en 1910, Kafka voyageait
dans ce tramway et notait dans son journal intime le tempo de la vitesse matriochka, très petite vitesse ou ultime,
celle de ce qui se passe à l’intérieur du tramway :
La danseuse Eduardowa, fervente de musique, circule, en
tramway comme partout, accompagnée de deux violonistes qu’elle fait jouer
souvent. Car on ne voit pas pour
quelle raison il serait interdit de jouer dans un tramway, si toutefois la
musique est bonne, agréable aux voyageurs, et gratuite, c’est-à-dire si elle
n’est pas suivie de quête. Il faut avouer qu’au début, cela ne laisse pas de
surprendre un peu et, pendant un petit moment, tout le monde juge cela déplacé.
Mais en pleine marche, quand il y a un fort courant d’air et que la rue est
silencieuse, l’effet est charmant.[1]
1,
La première Matriochka, c’est Prague. Rilke disait
d’elle qu’elle est l’espace intérieur du monde.
(…)
2,
La seconde Matriochka, c’est le tramway rouge et
blanc qui déambule dans la ville (…)
Un tramway
électrique de la prestigieuse marque tchèque Skoda. (…)
3,
La troisième Matriochka est le wagon dans lequel
circule la danseuse Eduardowa, ses
amis violonistes, Franz Kafka les
autres voyageurs.
(…)
4,
La quatrième Matriochka est la musique capable de
s’accorder aux conditions décrites par Kafka : le tramway en marche, dans
un fort courant d’air, avançant dans une rue tranquille.
(…)
(tentative de traduction SD)
[1] F.Kafka, Journal, traduction Marthe Robert, Grasset
Le tramway aussi, dans cet extrait de Robert Walser, Retour dans la neige, trouvé dans une brocante populaire au Poinçonnet, dimanche après-midi :
RépondreSupprimer"L'écolier, innocent bout-en-train, ramène son certificat à la maison dans le même tramway où se trouve la fille de joie ou l'homme qui prend ici le temps d'échafauder ses prochains coups, et les uns n'importunent pas les autres. Bien des yeux brillent d'une nostalgie secrète, bien des lèvres se serrent, bien des âmes tremblent , mais tous veulent être convenables, tous veulent aller le chemin de la raison, tous peuvent et veulent se préserver. Les rues se ressemblent comme le destin des hommes, mais chacune a pourtant son propre caractère et un destin n'est jamais comparable à un autre. (...)
Il y a aussi chez Gustave Roud, comme chez Robert Walser des tramways suisses, rouge et blanc, que les poètes empruntent comme les autres gens et ils s'en vont, marchant en rêve, comme d'autres en vrai.
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