" Les "gnocchi" sont la spécialité de mon grand-père. Ce qu'il me prépare rien que pour moi. Et pour accompagner le poulet au four. J'arrive le jeudi, du catéchisme à Chantraine et de la messe chez les Franciscains. (...) Le plan de travail est fariné, la boule prête, une belle boule souple et qui ne colle pas. Il coupe la boule en deux, pour en faire des rouleaux. Des rouleaux qu'il tronçonne régulièrement. Le tronçon est un peu plus gros qu'une bille. Quand le poulet est prêt, que je suis installé, il sort une fourchette. Il roule avec son pouce la bille sur le dos de la fourchette. un petit creux se forme, des rayures apparaissent. Le gnocco est né: ël gnoch, comme on l'appelle dans le Piémont. Pas la peine de sortir la rape à fromage, ce n'est pas encore l'heure du parmesan. Ni de revenir à je ne sais quelle table bien rayée. Pas besoin d'imaginer d'autres sillons, d'autres aspérités afin d'accrocher la sauce. Cette sauce qui est du beurre chaud. Quand les billes ont toutes reçu leur forme, il les jette dans une grande casserole d'eau bouillante salée. (...)
Maintenant il a retiré toutes ses billes. Et ma mémoire est une passoire. Je ne sais plus si dans le beurre chaud il avait infuser quelques feuilles de sauge fraîche. Je cherche la fourchette. Celle que je devrais garder en souvenir de mon grand-père. Afin de penser à lui. Si l'envie me prenait de faire des gnocchi. Je lui connaissais un couteau. Avait-il sa fourchette? Une fourchette spéciale qu'il ne sortait que le jeudi? Le jour des gnocchi. Pourquoi le jeudi? Parce que c'était le jour de repos hebdomadaire, le jour des enfants? Ou pour perpétuer, bien qu'il fût loin de chez lui, et depuis si longtemps, la tradition: le Giovedi gnocchi?
Denis Montebello, Tous les deux comme trois frères, Le Temps qu'il fait
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